CHAPITRE XVI

Le palais impérial, qui était juché au sommet d’une haute colline, en plein centre de Tol Honeth, ne se composait pas d’un seul et unique édifice, mais d’un assemblage complexe de bâtiments de marbre de toutes tailles, entourés de jardins et de pelouses où des cyprès jetaient une ombre plaisante. L’ensemble était ceint d’une haute muraille coiffée de statues disposées à intervalles réguliers. Les légionnaires en faction aux portes du palais reconnurent immédiatement l’ambassadeur de Cherek et envoyèrent aussitôt chercher l’un des chambellans de l’empereur, un personnage à l’air officiel avec des cheveux gris et un manteau marron.

— Il faut que je voie Ran Borune tout de suite, Messire Morin, annonça Grinneg en mettant pied à terre dans une cour de marbre, juste en arrière du portail du palais. C’est très urgent.

— Mais bien sûr, Messire Grinneg, répondit l’homme aux cheveux gris. Sa Majesté Impériale est toujours ravie de s’entretenir avec l’envoyé personnel du roi Anheg. Sa Majesté se repose en ce moment précis, mais je devrais parvenir à vous ménager une entrevue un peu plus tard dans l’après-midi, demain matin au plus tard.

— Cela ne peut pas attendre, Morin, reprit Grinneg. Il faut absolument que nous voyions l’Empereur. Il vaudrait mieux que vous alliez le réveiller.

Messire Morin eut l’air très surpris.

— Ce n’est certainement pas urgent à ce point là, fit-il d’un ton réprobateur.

— Je crains bien que si, confirma Grinneg. Morin avança les lèvres en une moue pensive tout en observant chacun des membres du groupe.

— Vous me connaissez suffisamment pour savoir que je ne vous demanderais pas une chose pareille à la légère, Morin, insista Grinneg.

— J’ai toute confiance en vous, Grinneg, répondit Morin, avec un soupir. Très bien. Suivez-moi, mais dites à vos gardes d’attendre ici.

Grinneg eut un geste impérieux à l’adresse de sa garde, et le groupe suivit Messire Morin à travers une vaste cour, puis sous une galerie bordée de colonnes qui courait le long de l’un des bâtiments.

— Comment va-t-il, ces temps-ci ? s’enquit Grinneg comme ils longeaient la galerie plongée dans la pénombre.

— Sa santé n’est pas mauvaise, révéla Morin ; c’est son caractère qui se gâte, en ce moment. Les Borune donnent leur démission par hordes entières pour retourner à Tol Borune.

— On se met un peu à leur place, compte tenu des circonstances, objecta Grinneg. J’imagine que la succession pourrait s’accompagner d’un certain nombre d’accidents déplorables.

— C’est probable en effet, acquiesça Morin. Mais Son Altesse trouve quelque peu déprimant de se voir abandonner par des membres de sa propre famille.

Il s’arrêta auprès d’une arcade de marbre où deux légionnaires au plastron orné d’or montaient la garde avec raideur.

— Veuillez laisser vos armes ici, je vous prie. Son Altesse est très sensible à ce genre de choses. Je suis sûr que vous nous comprenez.

— Bien entendu, le rassura Grinneg, en tirant une lourde épée de sous son manteau et en l’appuyant contre le mur.

Ils suivirent tous son exemple, et Messire Morin cligna les yeux avec surprise en voyant Silk retirer trois dagues, pas une de moins, d’endroits divers et variés de sa personne.

Prodigieux arsenal, firent les mains du chambellan, esquissant les signes de la langue secrète.

Triste époque, rétorquèrent les doigts de Silk, avec une nuance de réprobation. Messire Morin eut un petit sourire et leur fit emprunter une porte qui donnait sur un jardin. Des fontaines murmuraient doucement entre des rosiers en boutons, sur une pelouse minutieusement entretenue. Des hirondelles se disputaient un coin pour faire leur nid dans les branches tordues des arbres fruitiers qui semblaient incroyablement chargés d’ans et croulaient sous les bourgeons prêts à éclore sitôt le retour du chaud soleil. Grinneg et ses compagnons suivirent Morin le long d’une sente de marbre qui menait vers le centre du jardin.

Ran Borune XXIII, empereur de Tolnedrie, était un petit homme d’un certain âge, presque chauve, doté de minuscules yeux brillants au regard inquisiteur, encadrant un bout de nez de rien du tout, pareil à un bec. Il portait un manteau sans manches brodé d’or, et il était allongé sous une treille couverte de bourgeons, dans un fauteuil imposant sur le bras duquel était perché un canari jaune vif.

— J’ai dit que je voulais qu’on me laisse tranquille, Morin, apostropha-t-il avec humeur, en relevant les yeux de l’oiseau, auquel il donnait à manger de petites graines.

— Un million d’excuses, Votre Altesse, commença Messire Morin, avec une profonde révérence. Messire Grinneg, ambassadeur de Cherek, voudrait vous entretenir d’une affaire de la plus haute importance, et il m’a convaincu que l’affaire ne pouvait absolument pas attendre.

L’empereur braqua sur Grinneg un regard acéré. Ses yeux devinrent rusés, presque malicieux.

— Je vois que votre barbe a commencé à repousser, Grinneg.

Le visage de Grinneg s’empourpra lentement.

— J’aurais dû me douter que le récit de mes mésaventures serait venu aux oreilles de Votre Majesté.

— Je sais tout ce qui se passe à Tol Honeth, Messire Grinneg, rétorqua l’empereur. Mes cousins et mes neveux s’enfuient peut-être tous comme les rats d’un navire en train de couler, mais j’ai encore quelques fidèles autour de moi. Qu’est-ce qui vous a pris d’entreprendre cette femelle nadrak ? Je pensais que les Aloriens ne supportaient pas les Angaraks.

Grinneg eut une toux gênée, et jeta un rapide coup d’œil en direction de tante Pol.

— C’était pour rire, Votre Grandeur, dit-il. Je voulais faire bisquer l’ambassadeur nadrak — et puis sa femme n’est pas si mal, après tout. Je ne pouvais pas savoir qu’elle dissimulait une paire de ciseaux sous son matelas.

— Vous savez qu’elle garde votre barbe dans une petite boîte en or et qu’elle la montre à tous ses amis ? poursuivit l’empereur, la bouche en cœur.

— Cette femelle n’a pas de mœurs, fit Grinneg, d’un ton lugubre.

— Qui sont ces gens ? interrogea l’empereur, en pointant le doigt vers les membres du groupe debout sur l’herbe, à quelques pas de l’ambassadeur de Cherek.

— Mon cousin Barak et quelques amis, expliqua Grinneg. Ce sont ces gens qui souhaiteraient vous parler.

— Le comte de Trellheim ? demanda l’empereur. Quel bon vent vous amène à Tol Honeth, Messire ?

— Nous sommes de passage, Votre Altesse, répondit Barak, en s’inclinant.

Ran Borune braqua son regard pénétrant sur chacun des ses visiteurs à tour de rôle, comme s’il s’apercevait seulement de leur présence.

— Ah ! mais c’est le prince Kheldar de Drasnie, s’exclama-t-il. Qui se faisait passer pour un acrobate dans un cirque ambulant, la dernière fois qu’il nous a honorés de sa présence, et qui a quitté Tol Honeth un peu précipitamment, avec à peine une longueur d’avance sur la police, si j’ai bonne mémoire.

Silk se fendit d’une révérence fort civile.

— Et voici Hettar l’Algarois, poursuivit l’empereur. L’homme qui tente de dépeupler Cthol Murgos à la seule force du poignet.

Hettar inclina la tête.

— Pourquoi m’avez-vous laissé encercler par ces Aloriens, Morin ? récrimina sèchement l’empereur. Je n’aime pas les Aloriens.

— Il s’agit d’une affaire de la plus grande importance, Votre Altesse, se justifia Morin, d’un ton d’excuse.

— Et un Arendais ? reprit l’Empereur en regardant Mandorallen de ses yeux étrécis. Un Mimbraïque, apparemment. D’après les descriptions que l’on m’a rapportées, il ne peut s’agir que du baron de Vo Mandor.

La révérence de Mandorallen fut d’une grâce étudiée.

— Faut-il, ô Royale Majesté, que Ton œil soit clairvoyant, pour avoir lu, seul et sans aide, en chacun de nous à son tour.

— Je ne vous ai pas tous reconnus, réfuta l’empereur. Pour être précis, je ne sais pas qui est le Sendarien, ni le jeune Rivien.

L’esprit de Garion s’emballa. Barak lui avait dit une fois qu’il ressemblait à un Rivien plus qu’à toute autre chose, mais cette remarque évasive s’était engloutie dans le tourbillon des événements qui avaient suivi. Et voilà que l’empereur de Tolnedrie, dont le regard semblait avoir la faculté incroyable de percer les individus à jour, l’avait aussi identifié comme étant un Rivien. Il jeta un rapide coup d’œil à tante Pol, mais elle semblait plongée dans l’examen des bourgeons d’un rosier.

— Le Sendarien s’appelle Durnik, révéla sire Loup. Il est forgeron de son état, condition qui, en Sendarie, passe pour voisine de la noblesse. Quant au jeune garçon, c’est mon petit-fils, Garion.

L’empereur leva les yeux sur le vieil homme.

— Il me semble que je devrais vous connaître. Il y a en vous quelque chose...

Il s’interrompit, tout pensif.

Le canari, qui était perché sur le bras du fauteuil de l’empereur se mit tout à coup à chanter. Il prit son envol et se dirigea droit sur tante Pol, qui tendit le doigt pour lui offrir un perchoir, puis le petit oiseau brillant renversa la tête en arrière et se mit à pépier avec extase, comme si son minuscule cœur débordait d’adoration. Elle l’écouta gravement.

— Que faites-vous avec mon canari ? demanda l’empereur.

— Je l’écoute, répondit-elle.

Elle portait une robe bleu foncé, au corsage lacé d’une façon compliquée, et une courte cape de zibeline.

— Mais comment avez-vous réussi à le faire chanter ? Il y a des mois que j’essaie de l’y amener, sans succès.

— Vous ne le preniez pas suffisamment au sérieux.

— Qui est cette femme ? s’enquit l’empereur.

— Ma fille, Polgara, répondit sire Loup. Elle a le don de comprendre les oiseaux.

L’empereur éclata tout à coup d’un rire enroué, plus que sceptique.

— Allons, vous n’espérez tout de même pas que je vais gober ça, n’est-ce pas ?

Sire Loup le regarda avec gravité. Il avait presque l’air d’un Tolnedrain avec le manteau vert pâle que Grinneg lui avait prêté ; presque, mais pas tout à fait.

— Vous êtes bien certain de ne pas me connaître, Ran Borune ? demanda-t-il doucement.

— C’est très habile, dit l’empereur. Vous avez vraiment le physique de l’emploi, et la femme aussi, mais je ne suis plus un enfant. Il y a longtemps que j’ai cessé de croire aux contes de fées.

— Comme c’est dommage. Je gage que, depuis lors, vous devez trouver la vie bien morne et dépourvue d’intérêt.

Sire Loup parcourut du regard le jardin si minutieusement entretenu, avec ses serviteurs, ses fontaines et ses gardes du corps postés discrètement çà et là parmi les massifs de fleurs, et c’est d’une voix un peu triste qu’il poursuivit.

— Rien de tout cela, Ran Borune, ne suffira jamais à combler le vide d’une existence d’où toute possibilité d’émerveillement a été bannie. Vous avez peut-être renoncé à un peu trop de choses.

— Morin, appela Ran Borune, d’un ton péremptoire, faites mander Zereel. Nous allons régler ça immédiatement.

— A l’instant, Votre Grandeur, répondit Morin en faisant signe à l’un des serviteurs.

— Vous voulez bien me rendre mon canari ? demanda l’empereur, d’un ton presque plaintif.

— Mais bien sûr, répondit tante Pol.

Elle se dirigea vers le fauteuil de l’empereur en faisant bien attention de ne pas faire peur au petit oiseau qui s’égosillait de plus belle.

— Il y a des moments où je me demande ce qu’ils peuvent bien raconter, fit Ran Borune.

— Pour l’instant, il me parle du jour où il a appris à voler, répondit tante Pol. C’est un moment très important pour un oiseau.

Elle tendit la main et le canari ne fit qu’un bond jusqu’au doigt de l’empereur. Il chantait toujours, son petit œil brillant tourné vers le visage de Ran Borune.

— C’est sans doute une idée amusante, rétorqua le petit vieillard, qui regardait en souriant le soleil jouer dans l’eau de l’une des fontaines. Mais je crains de ne pas avoir de temps à consacrer à ce genre de choses en ce moment. Le pays tout entier retient son souffle dans l’attente de la nouvelle de mon trépas. Tout le monde semble penser que la meilleure chose que je pourrais faire pour la Tolnedrie serait de mourir sur-le-champ. Certains se sont même donné la peine de tenter de m’aider à franchir le pas. Rien que la semaine dernière, quatre assassins en puissance ont été arrêtés dans l’enceinte du palais. Les Borune, ma propre famille, me désertent à un tel rythme que c’est à peine s’il me reste assez de gens pour faire marcher le palais, et encore bien moins l’Empire. Ah ! voici Zereel.

Un homme mince aux sourcils broussailleux, vêtu d’un manteau rouge couvert de symboles mystiques, traversa à petits pas précipités la pelouse et vint s’incliner profondément devant l’empereur.

— Vous m’avez fait mander, Votre Altesse ?

— On me dit que cet homme serait Belgarath, fit l’empereur, et cette femme, Polgara la Sorcière. Soyez assez bon, Zereel, pour vérifier leurs dires.

— Belgarath et Polgara ? railla l’homme aux sourcils en broussailles. Assurément, Votre Altesse n’est pas sérieuse. Il n’existe personne de ce nom. Ce sont des êtres mythologiques.

— Vous voyez bien, décréta Ran Borune. Vous n’existez pas. Je tiens cela de la plus haute autorité. Zereel est lui-même sorcier, voyez-vous.

— Vraiment ?

— L’un des meilleurs, assura l’empereur. La plupart de ses trucs ne sont que des tours de passe-passe, bien sûr, puisque, aussi bien, la sorcellerie n’est qu’un simulacre, mais il m’amuse. Et il se prend très au sérieux. Vous pouvez y aller, Zereel. Mais tâchez de ne pas répandre une odeur méphitique, comme bien souvent.

— Ce ne sera pas nécessaire, Votre Altesse, dit platement Zereel. S’ils étaient sorciers, je m’en serais immédiatement aperçu. Nous avons des moyens de communication particuliers, vous savez.

Tante Pol regarda le sorcier, un sourcil légèrement relevé.

— Je pense que vous devriez y regarder d’un peu plus près, Zereel, suggéra-t-elle. Il arrive parfois que certaines choses nous échappent.

Elle fit un geste presque imperceptible, et Garion eut l’impression d’entendre un grondement assourdi.

Le sorcier regarda fixement un point dans le vide, juste devant lui, puis les yeux lui sortirent de la tête, son visage devint d’une pâleur mortelle et il se laissa tomber le nez dans l’herbe, comme si ses jambes s’étaient dérobées sous lui.

— Pardonnez-moi, dame Polgara, croassa-t-il, en rampant comme s’il voulait rentrer sous terre.

— J’imagine que je devrais être très impressionné, convint l’empereur. Seulement j’ai déjà vu des possédés, et on ne peut pas dire que Zereel ait la tête bien solide.

— Ça commence à devenir lassant, Ran Borune, déclara tante Pol d’un ton acerbe.

— Vous feriez mieux de la croire, vous savez, intervint le canari d’une petite voix flûtée. Je l’ai tout de suite reconnue. Evidemment, nous sommes beaucoup plus observateurs que vous autres, qui vous limitez à vous traîner sur le sol. Au fait, pourquoi n’essayez-vous pas de voler ? Je suis sûr qu’avec un minimum d’effort, vous y arriveriez parfaitement. Et puis, j’aimerais bien que vous arrêtiez un peu de manger de l’ail. Ça vous donne une haleine épouvantable.

— Chut, ça suffit, fit doucement tante Pol. Tu pourras lui dire tout ça plus tard.

L’empereur, qui tremblait maintenant comme une feuille, regardait l’oiseau comme si c’était un serpent.

— Pourquoi ne pas faire comme si nous étions vraiment, Polgara et moi, ceux que nous prétendons être ? proposa sire Loup. Nous pourrions passer le restant de la journée à essayer de vous convaincre, mais nous n’avons pas vraiment de temps à perdre. J’ai des choses à vous dire, des choses importantes — qui que je sois.

— Je pense que c’est une proposition acceptable, admit Ran Borune, qui ne pouvait détacher ses yeux du canari, maintenant silencieux.

Sire Loup noua ses mains derrière son dos et leva les yeux vers un groupe d’hirondelles qui se chamaillaient sur la branche d’un arbre voisin.

— Au début de l’automne, commença-t-il, Zedar l’Apostat s’est introduit dans la salle du trône de Riva et a volé l’Orbe d’Aldur.

— Il a fait quoi ? s’exclama Ran Borune en se redressant précipitamment. Mais comment est-ce possible ?

— Nous l’ignorons, répondit sire Loup. Lorsque j’aurai réussi à le rattraper, je le lui demanderai peut-être. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que la portée de l’événement ne vous échappe pas.

— Bien sûr que non.

— Les Aloriens et les Sendariens se préparent discrètement à la guerre, l’informa sire Loup.

— La guerre ? releva Ran Borune, d’une voix altérée. Mais contre qui ?

— Contre les Angaraks, évidemment.

— Mais qu’est-ce que Zedar a à voir avec les Angaraks ? Il agit peut-être pour son propre compte, après tout ?

— Vous n’êtes certainement pas assez stupide pour croire une chose pareille, répliqua tante Pol.

— Vous vous oubliez, gente dame, s’indigna Ran Borune, d’un ton rigoureux. Où est Zedar, maintenant ?

— Il est passé par Tol Honeth il y a deux semaines environ, le renseigna sire Loup. S’il parvient à traverser la frontière et à entrer dans l’un des royaumes angaraks avant que j’aie réussi à l’arrêter, les Aloriens prendront les armes.

— Et l’Arendie avec eux, déclara fermement Mandorallen. Les faits ont été portés à la connaissance du roi Korodullin.

— Vous allez mettre le monde à feu et à sang, protesta l’empereur.

— Peut-être, admit sire Loup. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de laisser Zedar rejoindre Torak avec l’Orbe.

— Je vais immédiatement envoyer des émissaires, décréta Ran Borune. Il faut prendre les devants avant que les choses n’aillent trop loin.

— Trop tard, annonça Barak, d’un ton sinistre. Anheg et les autres ne sont pas d’humeur à écouter des diplomates tolnedrains en ce moment.

— Les Tolnedrains n’ont pas très bonne réputation dans le nord, Votre Altesse, remarqua Silk. Ils semblent toujours avoir quelque accord commercial dans leurs manches. L’impression générale est que lorsque la Tolnedrie arbitre une querelle, ça finit toujours par coûter très cher. Je ne pense pas que nous ayons encore les moyens de nous offrir vos bons offices.

Un nuage passa devant le soleil, et il leur sembla tout à coup qu’il faisait très froid.

— Toute cette affaire est grandement exagérée, protesta l’empereur. Les Aloriens et les Angaraks se disputent cette fichue pierre depuis des milliers d’années. Vous n’attendiez qu’un prétexte pour vous jeter les uns sur les autres, et voilà une occasion toute trouvée. Allez-y, je vous souhaite bien du plaisir, mais la Tolnedrie ne se laissera pas entraîner dans le conflit, aussi longtemps que je serai son empereur.

— Vous ne pourrez pas rester en dehors, Ran Borune, remarqua tante Pol.

— Et pourquoi pas ? L’Orbe ne me concerne en aucune manière. Détruisez-vous donc mutuellement si ça vous chante. La Tolnedrie sera encore là quand vous n’y serez plus.

— J’en doute, rétorqua sire Loup. Votre empire grouille de Murgos. Ils pourraient vous renverser en une semaine.

— Ce sont de braves marchands, qui se livrent à d’honnêtes affaires.

— Les Murgos ignorent les affaires honnêtes, laissa tomber tante Pol. Il ne se trouve pas un seul Murgo en Tolnedrie qui n’y ait été envoyé par le Grand Prêtre grolim.

— Tout ceci passe un peu les bornes, déclara Ran Borune, avec obstination. Le monde entier sait que vous êtes travaillés, votre père et vous-même, par une haine obsessionnelle des Angaraks, mais les temps ont changé.

— Cthol Murgos est toujours gouverné depuis Rak Cthol, riposta sire Loup. Et là-bas, Ctuchik est maître chez lui. Le monde a eu beau évoluer, Ctuchik n’a pas changé, lui. Les marchands de Rak Goska sont peut-être civilisés à vos yeux, mais ils ne lui en obéissent pas moins au doigt et à l’œil ; or Ctuchik est le disciple de Torak.

— Torak est mort.

— Vraiment ? répliqua tante Pol. Vous avez vu sa tombe ? Vous avez ouvert son tombeau et vu ses ossements ?

— Mon empire me coûte très cher à mener, dit l’empereur, et j’ai besoin des revenus que me procurent les Murgos. J’ai des agents à Rak Goska et tout le long de la Route des Caravanes du Sud. Si les Murgos préparaient quoi que ce soit contre moi, je le saurais. La seule chose que je me demande, c’est si tout cela n’est pas l’effet de luttes intestines dans la grande Confrérie des Sorciers. Il se peut que vous ayez vos raisons d’agir, mais je ne vais pas vous laisser manœuvrer mon empire comme un pion dans vos querelles d’influence.

— Et si les Angaraks l’emportent ? s’enquit tante Pol. Comment envisagez-vous de traiter avec Torak ?

— Torak ne me fait pas peur.

— Vous l’avez déjà rencontré ? demanda sire Loup.

— Evidemment pas. Ecoutez, Belgarath, vous n’avez jamais eu la moindre amitié pour nous, votre fille et vous. Vous avez traité la Tolnedrie en adversaire vaincue après Vo Mimbre. Vos informations sont intéressantes, et je les considérerai dans les perspectives voulues, mais la politique tolnedraine ne saurait être dictée par des préjugés aloriens. Notre économie dépend beaucoup du commerce le long de la Route des Caravanes du Sud. Je ne suis pas prêt à laisser mon empire partir à vau l’eau parce qu’il se trouve simplement que vous haïssez les Murgos.

— Alors vous êtes un imbécile, déclara sire Loup, sans ambages.

— Vous seriez surpris du nombre de gens qui sont de cet avis, répondit l’empereur. Vous aurez peut-être plus de chance avec mon successeur. Si c’est un Vordueux ou un Honeth, vous arriverez peut-être même à l’acheter. Mais la corruption n’est pas de mise chez les Borune.

— Pas plus que les conseils, ajouta tante Pol.

— Seulement quand cela nous convient, Dame Polgara, rétorqua Ran Borune.

— Je pense que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir ici, décida sire Loup.

Une porte de bronze s’ouvrit en coup de vent, au fond du jardin, et une petite fille aux cheveux de flamme en jaillit tel un ouragan, les yeux jetant des éclairs. Au début, Garion crut que c’était une enfant, mais lorsqu’elle se rapprocha, il se rendit compte qu’elle était sensiblement plus âgée que cela. Elle était de très petite taille, mais sa courte tunique verte sans manches dévoilait des membres qui étaient bien près de la maturité. Il éprouva à sa vue un choc très particulier, un peu comme s’il la reconnaissait, mais ce n’était pas cela. Sa chevelure était une longue cataracte de boucles élaborées, qui dévalaient ses épaules et son dos, et d’une couleur que Garion n’avait encore jamais vue, un rouge profond, rutilant, comme brillant d’une lumière intérieure. Sa peau dorée semblait s’animer de reflets verdâtres, alors qu’elle se déplaçait dans l’ombre des arbres, près de la porte. Elle était dans un état proche de la rage absolue.

— Pourquoi me retient-on prisonnière ici ? demanda-t-elle à Ran Borune, d’un ton impérieux.

— De quoi parles-tu ? questionna-t-il.

— Tes légionnaires ne veulent pas me laisser quitter l’enceinte du palais !

— Ah ! fit l’empereur. C’est ça.

— Exactement. C’est ça.

— Ils agissent conformément à mes ordres, Ce’Nedra, lui expliqua patiemment l’empereur.

— C’est ce qu’ils prétendent. Dis-leur de changer tout de suite d’attitude.

— Non.

— Non ? répéta-t-elle, incrédule. Non ? (Et sa voix grimpa de plusieurs octaves.) Qu’est-ce que ça veut dire, « non » ?

— Il serait beaucoup trop dangereux que tu te promènes en ville par les temps qui courent, répondit l’empereur d’un ton sans réplique.

— C’est ridicule ! cracha-t-elle. Je n’ai pas l’intention de rester assise dans ce sale palais rien que parce que tu as peur de ton ombre. J’ai des courses à faire au marché.

— Envoie quelqu’un.

— Je n’enverrai personne ! hurla-t-elle en réponse. J’ai envie d’y aller moi-même.

— Eh bien, ce n’est pas possible, répondit-il platement. Tu ferais mieux d’étudier, à la place.

— Je n’ai pas envie d’apprendre mes leçons ! s’écria-t-elle. Jeebers est un imbécile patenté, et il me barbifie dans les grandes largeurs. Je ne veux plus rester assise à l’écouter pérorer. J’en ai plus qu’assez de l’histoire et de la politique ! J’en ai marre de tout ça ! Je voudrais juste passer un après-midi tranquille, toute seule !

— Je regrette.

— S’il te plaît, père, implora-t-elle, sa voix retombant pour adopter des accents enjôleurs. Je t’en supplie...

Elle attrapa un repli de son manteau doré et se mit à l’entortiller autour de son petit doigt. Les yeux qu’elle braquait sur l’empereur à travers ses cils auraient fait fondre une pierre.

— Il n’en est pas question, répondit-il en évitant son regard. Je ne reviendrai pas là-dessus. Tu ne quitteras pas l’enceinte du palais.

— Je te déteste ! vociféra-t-elle.

Puis elle s’enfuit du jardin en sanglotant.

— Ma fille, expliqua l’empereur, comme pour s’excuser. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que d’avoir une fille comme ça.

— Oh ! si, soupira sire Loup avec un coup d’œil oblique en direction de tante Pol.

Coup d’œil qu’elle lui rendit, le défiant du regard.

— Vas-y, père, continue. Je suis sûr que tu meurs d’envie de raconter ta vie et tes malheurs.

— Laissons tomber, reprit sire Loup, en haussant les épaules.

Ran Borune les regarda d’un air pensif.

— Il me vient à l’idée que nous pourrions peut-être négocier quelque chose, là, insinua-t-il en plissant les yeux.

— Qu’avez-vous en tête ? questionna sire Loup.

— Vous jouissez d’une certaine autorité auprès des Aloriens, suggéra l’empereur.

— C’est un peu vrai, admit prudemment sire Loup.

— Si vous le leur demandiez, je suis sûr qu’ils seraient prêts à renoncer à l’une des clauses les plus absurdes des Accords de Vo Mimbre.

— Laquelle ?

— Il n’est pas vraiment indispensable que Ce’Nedra fasse le voyage de Riva, n’est-ce pas ? Je suis le dernier empereur de la dynastie Borune, et à ma mort, elle ne sera plus princesse impériale. Etant donné les circonstances, je dirais que cette contrainte ne s’applique pas à elle. C’est une aberration, de toute façon. Comment voulez-vous qu’il y ait un fiancé pour l’attendre à la cour du Roi de Riva alors que la lignée de Riva s’est éteinte il y a treize cents ans ? Comme vous l’avez vous-mêmes constaté, la Tolnedrie n’est pas un endroit sûr en ce moment. Ce’Nedra doit fêter son seizième anniversaire d’ici un an à peu près, et la date en est bien connue. Si je suis tenu de l’envoyer à Riva, la moitié des assassins du royaume monteront la garde devant les portes du palais en attendant qu’elle mette le nez dehors.

Je préférerais ne pas courir ce genre de risque. Si vous pouviez parler aux Aloriens, j’arriverais peut-être à faire quelques concessions concernant les Murgos : un numéros clausus, des restrictions territoriales, ce genre de choses.

— Non, Ran Borune, répondit abruptement tante Pol. Ce’Nedra ira à Riva. Vous n’avez pas compris que les Accords n’étaient qu’une formalité. Si votre fille est celle qui est destinée à devenir l’épouse du roi de Riva, aucune force au monde ne pourrait l’empêcher de se trouver dans la salle du trône de Riva le jour voulu. Les recommandations de mon père concernant les Murgos n’étaient que des suggestions, faites dans votre propre intérêt. A vous de prendre vos responsabilités.

— Je pense que nous venons d’épuiser le sujet, décréta froidement l’empereur.

Deux officiers à l’air important entrèrent dans le jardin et s’entretinrent brièvement avec Messire Morin.

— Votre Altesse, annonça avec déférence le chambellan aux cheveux gris, le ministre du Commerce souhaite vous informer qu’il a obtenu un excellent accord avec la délégation commerciale de Rak Goska. Les représentants de Cthol Murgos se sont montrés des plus accommodants.

— Vous nous voyez ravi de l’entendre, répondit Ran Borune en jetant un coup d’œil lourd de signification à sire Loup.

— Les plénipotentiaires de Rak Goska voudraient vous rendre hommage avant de partir, ajouta Morin.

— Mais j’y tiens absolument. Nous serons heureux de les recevoir ici-même.

Morin tourna les talons et fit un bref signe de tête en direction des deux officiers restés auprès de la porte. Ceux-ci se tournèrent vers un personnage invisible, de l’autre côté de la porte, qui s’ouvrit en grand, et cinq Murgos firent leur entrée.

Leurs robes de grosse toile noire, dont ils avaient rabattu le capuchon, étaient ouvertes sur le devant, révélant des tuniques de mailles d’acier luisant au soleil. Le Murgo qui ouvrait la marche était un peu plus grand que les autres, et toute son attitude indiquait qu’il était le chef de la délégation. Une masse d’images et de souvenirs fragmentaires déferlèrent dans l’esprit de Garion tandis qu’il regardait le visage couturé de cicatrices de celui qui était depuis toujours son ennemi. La tension de l’étrange lien silencieux, occulte, qui les unissait, se fit sentir à nouveau. C’était Asharak.

Quelque chose effleura l’esprit de Garion, mais plus à titre d’information qu’autre chose ; ce n’était pas la force irrésistible que le Murgo avait dirigée sur lui dans le corridor obscur du palais d’Anheg, au Val d’Alorie ; sous sa tunique, son amulette devint très froide et semblait en même temps le brûler.

— Votre Majesté Impériale, déclara Asharak, en s’avançant avec un froid sourire. Nous sommes honorés d’être admis en votre auguste présence.

Il s’inclina, faisant cliqueter sa cotte de mailles. Barak tenait fermement le bras droit de Hettar ; Mandorallen se rapprocha pour lui prendre l’autre bras.

— Nous sommes ravi de vous revoir, noble Asharak, répondit l’empereur. Nous nous sommes laissé dire qu’un accord avait été conclu.

— A l’avantage des deux parties, Votre Altesse.

— Ce sont les meilleurs accords, approuva Ran Borune.

— Taur Urgas, roi des Murgos, vous adresse ses salutations, reprit Asharak. Sa Majesté éprouve le vif désir de cimenter les relations entre Cthol Murgos et la Tolnedrie. Elle espère pouvoir un jour donner à Votre Majesté impériale le nom de frère.

— Nous respectons les intentions pacifiques et la sagesse légendaire de Taur Urgas, souligna l’empereur avec un sourire béat.

Asharak promena autour de lui ses yeux noirs inexpressifs.

— Eh bien, Ambar, dit-il à Silk, les affaires semblent avoir repris depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, dans les bureaux de Mingan, à Darine.

— Les Dieux ont été cléments. Enfin, presque tous, répondit Silk en tendant les mains devant lui en un geste fataliste.

Asharak ébaucha un sourire.

— Vous vous connaissez ? demanda l’empereur, quelque peu surpris.

— Nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer, Votre Altesse, admit Silk.

— Sous d’autres cieux, précisa Asharak, avant de regarder sire Loup droit dans les yeux. Belgarath, fit-il aimablement, avec un petit hochement de tête.

— Chamdar, répondit le vieillard.

— Tu m’as l’air en pleine forme, dis-moi.

— Merci.

— J’ai l’impression d’être le seul étranger ici, confia l’empereur.

— Il y a très, très longtemps que nous nous connaissons, Chamdar et moi, expliqua sire loup, avant de jeter un coup d’œil malicieux au Murgo. Je vois que tu t’es remis de ta récente indisposition.

Une expression ennuyée effleura fugitivement le visage d’Asharak, et il s’empressa de regarder son ombre sur l’herbe, comme pour se rassurer.

Garion se rappela ce que sire Loup avait dit, en haut de la Dent d’Elgon, après l’attaque des Algroths. Il avait parlé d’une ombre qui n’allait pas rentrer par « le chemin le plus direct ». Il aurait été bien en peine de dire pourquoi, mais l’information qu’Asharak le Murgo et Chamdar le Grolim étaient un seul et même homme ne le surprenait pas particulièrement. Comme une mélodie complexe subtilement discordante retrouve l’accord, la soudaine fusion des deux semblait entrer en résonance quelque part. Cette information trouva sa place dans son esprit comme une clef dans une serrure.

— Un jour, il faudra que tu me montres comment tu fais ça, disait Asharak. J’ai trouvé l’expérience intéressante. Mais mon cheval est devenu complètement hystérique.

— Toutes mes excuses à ton cheval.

— Comment se fait-il que la moitié de cette conversation semble m’échapper ? s’enquit Ran Borune.

— Pardonnez-nous, Votre Altesse. Nous renouons, le vénérable Belgarath et moi-même, une vieille inimitié. Il faut dire que nous n’avons que très rarement eu l’occasion de nous parler avec autant de courtoisie. Dame Polgara, fit Asharak en s’inclinant poliment devant tante Pol. Toujours aussi belle.

Il braqua sur elle un regard délibérément suggestif.

— Tu n’as pas beaucoup changé non plus, Chamdar. Elle parlait sans colère, d’un ton presque affable, mais Garion, qui la connaissait mieux que personne, reconnut immédiatement l’insulte mortelle dont elle venait de gratifier le Grolim.

— Charmante, reprit Asharak, avec un timide sourire.

— C’est mieux qu’au théâtre, s’écria l’empereur, subjugué. Voilà ce que j’appelle une joute oratoire ou je ne m’y connais pas. Je regrette de n’avoir pu assister au premier acte.

— Le premier acte a été très long, Votre Altesse, révéla Asharak. Et souvent bien fastidieux. Comme vous l’avez peut-être remarqué, il y a des moments où Belgarath se laisse emporter par sa subtilité.

— Je ne devrais pas avoir de mal à m’en remettre, riposta sire Loup avec un petit sourire. Je te promets que le dernier acte sera très bref, Chamdar.

— Des menaces, vieillard ? releva Asharak. Je pensais que nous étions convenus de rester dans les strictes limites de l’urbanité.

— Je ne me rappelle pas que nous soyons jamais convenus de quoi que ce soit, fit sire Loup en se retournant vers l’empereur. Je pense que nous allons prendre congé, maintenant, Ran Borune, conclut-il. Avec votre permission, naturellement.

— Naturellement, répéta l’empereur. Je suis heureux d’avoir fait votre connaissance — bien que je ne sois évidemment pas encore convaincu de votre existence. Mais mon scepticisme est purement théologique, et n’a rien de personnel.

— Vous m’en voyez heureux, répliqua sire Loup. Puis il lui jeta impromptu un sourire espiègle qui arracha un éclat de rire à Ran Borune.

— J’attends avec impatience notre prochaine rencontre, Belgarath, déclara Asharak.

— A ta place, je la redouterais, lui conseilla sire Loup, avant de tourner les talons et de mener ses compagnons hors des jardins de l’empereur.

La Reine des sortileges
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